Autrefois, on entendait les cris des enfants, la tonte du bétail et les cloches de l’église dans toute la Sierra de Guara. Même dans les coins les plus distants il y avait des villages et des hameaux habités par des hommes et des femmes qui démarraient les moyens de subsistance d’une terre rude et difficile qui faisait quelques concessions. Une terre qui a été progressivement abandonnée en laissant les champs incultes et les maisons vides. La visite aux dépeuplés du nord de la Sierra de Guara est, en plus d’une activité excursionniste très intéressante en soi, une grande leçon d’ethnologie en plein air. On entre dans un autre monde, comme si on voyageait dans le temps.
Les villages du Valle de Nocito et Alto Alcanadre conservent encore une partie des règles de l’architecture traditionnelle aragonaise, avec des manoirs, des cheminées tronconiques surmontées d’une pierre espantabrujas, des moulins, des fontaines, des ateliers de forgeron, des huttes, des mallatas, des puits et des bottes de foin habilement construits avec les pierres et les bois que ces personnes qui n‘y sont plus ont donné à l’environnement naturel de cette Sierra si rude … pour ne pas mentionner l’existence même d‘ermitages d’un grand intérêt comme celle réhabilitée de Nasarre, du siècle XI, au milieu de rien, dans le coeur de Guara.
Dans ces pages, nous allons décrire un voyage à pied d‘une journée complète de duration, à travers les limites du Parc Naturel, c’est pourquoi ce sera peut-être le visage le plus inconnu, tranquille et silencieux de ce territoire. Un paysage d’autrefois humanisé de vieux champs, de terrasses et de petits villages qui regardent les sommets enneigés des Pyrénées et qui ont perdu, il y a plus d’un demi-siècle, leur acteur principal: l’être humain. Les gens sont partis à Barbastro, Monzon, Huesca et Saragosse afin de chercher une meilleure vie. Beaucoup d’entre eux ne sont jamais revenus à la sierra et les villages où ils sont nés sont restés vides. Quelles sont les causes qui ont conduit toute cette communauté rurale de Guara vers la mort? Principalement, son isolement. Pierre Minvielle dans l’un des premiers guides de la région qui a été publié, parle de l’hospitalité des aragonais et des anciens métiers dans certains paysages en dehors du temps, et dans ses pages il se souvient des derniers survivants d‘Otín qu’en cas de maladie ils devaient aller vers le bas pour téléphoner à Rodellar, en marchant quatre heures aller-retour, et puis attendre l’arrivée du médecin. «Quand j‘ai visité ce village pour la première fois en 1956, la population était rassemblée à l’époque et j’ai pu compter vingt-six personnes, dont un vieil homme qui était déplacé dans une chaise. Mais dans la décennie suivante il n’y a eu aucune visite dans laquelle lorsque je demandais des nouvelles sur une famille que j’avais vue l’année précédente, je n’écoutais pas la réponse inexorable «ils sont partis» écrit Minvielle dans le livre Los cañones de la Sierra de Guara, publié en France en 1974.
D’autres causes qui ont provoqué ce voyage sans retour ont été : le relief abrupt de cette chaîne montagneuse, les conditions de vie déplorables et les sols pierreux, inadéquats pour la culture. L’électricité n’arriverait jamais à ces noyaux. Ni le téléphone, ni les services minimums … ni les routes pavées. Les voies d’accès des véhicules que nous voyons aujourd’hui ont été construites il y a plus de trente ans par les machines du Patrimoine Forestier de l’État, après cet exode rural-là.
Vers Bagüeste
Dans les limites du Nord-Est du Parc Naturel, nous commencerons à marcher dans le village encore vivant de « Las Bellostas »-d’environ cinq habitants-, dans le « Viejo Sobrarbe »,région dont son histoire primitive plonge dans la nuit des temps, dans une zone géographique qui coïncide avec la naissance de plusieurs rivières d’importance dans Guara, à savoir: Mascún, Isuala et Vero.
Par ces terres favorables pour le buis et le chêne faginé passaient des chemins de transhumance. Nous, étape par étape, nous commençons aussi notre itinéraire. Nous trouverons la croix des chemins à l’entrée de la ville, l’église de Saint Raymond Nonnat – avec un abside romane- ou la Maison du Mounier « Casa Molinero», faite des tours , nous nous promènerons à travers le sentier historique ou GR-1, lequel dans une direction ouest descend vers un meunier qui comportait deux meules à grains et possédait jusqu’à à trois barrières – … mais bien avant ce bâtiment rural unique nous devons nous dévier à gauche en prenant le sentier balisé vers Bagüeste. Nous borderons le cours croissant de la rivière Balcés ou Isuala à travers un chemin de pierres et en suite par le chemin de Canarella nous remonterons le flanc en face, parmi de vieilles bandes de culture, des buis, des genêts hérissés, des pins et des chênes, nous continuerons jusqu’au petit ermitage de Saint Michel, où il y avait toujours une bougie allumée dont la flamme était entretenue chaque jour par un voisin de Bagüeste. C’est là où nous relions un indice pas bon qui nous mènera au visible dépeuplé de Bagüeste, qui est situé à 1.207 mètres d’altitude, il est considéré comme l’établissement humain le plus grand qui a existé dans toute la Région de Guara. Mais désormais, personne n’habite là-bas. Il n’y a qu’une ruine, du silence et des maisons tombées.
Bagüeste dispose également d’une église romane, celle de « San Salvador », qui se détache au sud, fière, au sommet de la colline. A proximité, il y a quelques maisons fortes, mais qui sont déjà en ruines, comme « Casa Javierre », une maison de grandes proportions et qui était fournie au XVIe siècle d’une tour de défense avec des meurtrières. Il vaut la peine faire une promenade dans ce lieu triste et sombre pour essayer de comprendre comment se déroulaient la vie dans ces villages. Les photographies doivent faire un compte rendu de l’effondrement de lourds toits de dalles, des poutres périmées et des murs en équilibre avec des huttes, des corrals et des ères de battage. Bagüeste avait neuf maisons et sa population a diminué décennie après décennie, en 1857 il y avait 124 habitants; seulement 27 en 1960; et en 1970, la dernière porte s’est fermée. C’est la raison pour laquelle il n’ya plus de champs travaillés ou de troupeaux, pas de voix, pas de cris, pas de pèlerinages comme celui vers Santa Marina où chaque 18 juillet les gens de tous les alentours s’y rendaient.
Les marques rouges et blanches du GR-1 nous dirigent vers un plateau calcaire à l’ouest, en direction de Letosa, traversant un mont reboisé et croisant la source de la rivière Mascun, ce ravin devenant un canyon en aval tout en créant des coins incroyables. Letosa, vide aussi des gens, mérite également une autre visite attentive, au moins dans la mesure où la végétation abondante qui envahit tout nous le permette. Elle a eu six maisons et une seule rue, Saint Urbez. Au nord, pas très loin de notre route, il y a le patelin abandonné Saint Hippolyte – appelée aussi Saint Poliz – ayant seulement deux maisons et les Maisons d’Albas. C’étaient tous des endroits de vieux bergers, de paysans, de menuisiers, de boulangers, de charbonniers et de tailleurs ambulants qui allaient de village en village et qui sont décrits dans les chroniques de la fin du XIX siècle des voyageurs pyrénéistes tels Tissandier, le comte Saint-Saud, Briet ou Lequeutre.
Sur le ravin de Mascun
Nous quittons une voie en terre allant vers Nasarre et, suivant toujours les marques du Sentier Historique, nous allons vers Otin. À mi-chemin, nous allons voir l’indicateur d’un détour sur la gauche, signalant la descente par une bande pendue, vers le beau paysage lointain des chutes de Peña Guara et du Saltador de las Lañas – à une heure de route – un tronçon réservé du ravin du Mascun Supérieur en forme de cirque, où l’eau cristalline forme des bassins en couleur vert turquoise. Après, nous allons passer le détour du ravin Raisen. Finalement, on arrive au village d’Otin qui était important il y a quelque temps, bien qu’il semble situé dans un territoire sans maître. On dirait que ses maisons donnent sur le canyon du Mascun, qualifié par l’explorateur Pierre Minvielle comme le « majeur fleuron de la chaîne » car il détient toutes les fascinations de l’eau et du rocher. Éloigné de tout, Otin a eu trois quartiers et onze maisons, chacune ayant son nom. Casa Felix et Casa Bellosta ont été les maisons les plus importantes. Le dernier habitant de l’endroit a été Felix Mairal, qui s’en est allé en 1972. Longtemps après, un français a installé un bar d’été pour les pratiquants du canyonisme. Mais il n’en reste presque pas de traces. À la sortie vers Nasarre, à droite, une magnifique balustrade nous fait son adieu au passage.
Désert sauvage
Nous allons monter jusqu’à un chêne et, traversant par des anciennes fermes oubliées, arriver à la Pardina de Villanua ou Billanuga, un hameau qui n’est pas devenu un village et qui garde encore une certaine composition et esthétique urbaine. Le temps semble arrêté dans ce désert sauvage. Très proche, nous allons voir le détour vers le dolmen de Losa Mora, parfait dans ses formes et ses dimensions, ce patrimoine culturel immatériel qui se perd aussi avec le dépeuplement de la Sierra de Guara.
Le voyage continue avec les marques rouges et blanches du GR-1. La visite à Nasarre, comprenant l’ancienne église mozarabe de Saint André et ses dix siècles d’histoire, nous révèle que rien n’existe pour toujours, que les temps changent et qu’il peut y avoir parfois des événements sociaux puissants et profonds.